Cameroun : Irène Yanpelda, l’amazone des énergies renouvelables
Le 2020-03-30
Cameroun : Irène Yanpelda, l’amazone des énergies renouvelables
Cette jeune ingénieure a créé depuis 2015, la startup Weey Energie et Eau qui propose des solutions aux problèmes d’accès à l’électricité et à l’eau potable dans la partie septentrionale.
Aux environs de 14 heures mardi 3 mars dans les locaux de son entreprise située en plein cœur du marché « Comice » à Maroua, Irène Yanpelda multiplie les rencontres. La fondatrice de Weey Energie et Eau échange avec ses collaborateurs, discute avec des clients et des partenaires. « Je suis occupée mais je vous prie de me donner le temps de finir deux ou trois choses », nous lance-t-elle, énergique, avec une courtoisie de femme d’affaires. Entre temps, il nous est proposé de savourer du bon thé préparé à l’aide d’un système de biogaz, un bio digesteur 100% composé de matériaux biodégradables. C’est l’un des produits de l’entreprise, explique-on. Cette unité de production du biogaz qui transforme les déchets de cuisine et les défections animales en gaz de cuisson et en fertilisant liquide est le fruit du partenariat et du séjour d’Irène Yanpelda en Israël.
C’est grâce à cette innovation technologique importée d’Israël - et qui produit du gaz pour une cuisson de 2 à 3 heures par jour et de l’engrais liquide bio- que l’entreprise espère conquérir le marché. Ladite solution, dont l’espérance de vie est estimée à 15 ans, au coût de 500 000 FCFA l’unité, représente en effet un palliatif au gaz domestique et les problèmes récurrents de pénurie que subissent les ménages dans cette partie du pays.
Dans ses locaux, Weey Energie et Eau dispose d’un personnel adapté aux attentes de sa clientèle. De l’accueil jusqu’à la livraison, l’accent est mis sur le respect des procédures. Dans une grande salle qui fait office de point de vente, des commerciaux présentent les produits de l’entreprise aux clients. Lampes, batteries, câbles et autres accessoires sont rangés. Le tout accompagné des outils de communication. C’est que l’entreprise est spécialisée dans le domaine des énergies renouvelables, le traitement des eaux, les forages, froid et climatisation entre autres. « Les gens entendent parler de l’énergie solaire et des énergies renouvelables mais c’est encore nouveau pour plusieurs, il faut leur expliquer ce que c’est réellement et les multiples avantages qu’ils peuvent en tirer en utilisant nos produits de qualité afin qu’ils les intègrent dans leur quotidien pour sauver notre environnement car c’est un secteur vaste qui offre plusieurs produits et services », explique Irène Yanpelda. Malgré la baisse de vente et la timidité des affaires en ce début d’année, elle garde espoir que les activités vont s’accélérer et que les recettes s’amélioreront dans les tout prochains mois.
Toutefois, pas question de croiser les bras et attendre. Weey Energie et Eau Multiplie la prospection sur le terrain en scrutant de nouveaux marchés. « On a une gamme de produits comme les outils et accessoires électriques de qualité. C’est le lieu de les présenter au public, à partir du moment où les gens sont en chantier pour construire leurs maisons », croit savoir la jeune femme.
Entreprise innovante
La naissance de Weey Energie et Eau n’est pas le fruit du hasard. La promotrice, spécialisée dans le domaine des énergies renouvelables voulait mettre en pratique son savoir-faire au service du développement de la région de l’Extrême-Nord. Une zone riche en ressources énergétiques mais sous-exploitées. Par ailleurs, le secteur de l’énergie solaire fait désormais partie des politiques gouvernementales en matière d’énergie, pour combler le déficit en la matière. Dans le cadre du budget d’investissement public (BIP) et autres projets et programmes d’investissement, l’Etat et ses partenaires au développement n’ont eu de cesse de faire allusion à ce type d’énergie. Une opportunité pour l’entrepreneure de se lancer. Weey Energie et Eau est à l’affût des marchés et des offres ; ses clients se recrutent dans le public comme dans le privé.
Presque 5 ans d’activités, avec à la clé, de nombreuses réalisations. Parmi lesquelles l’installation d’un système de pompage au Saare Tabitha, un centre de formation pour jeunes filles, à Maroua, en 2016. L'eau obtenue est utilisée pour les tâches ménagères, notamment lessive, vaisselle et arrosage des fleurs. Ce qui a permis au centre de résoudre le grand problème d’accès à l’eau dans cette zone. Weey Energie et Eau se revendique également la mise en place en 2015, des systèmes de pompage au complexe culturel communautaire de Kolara (C3k), un autre centre de formation pour filles en couture, broderie et réparation des machines, dans le département du Mayo-Kani. Elle a aussi réalisé plusieurs systèmes d'éclairages dans le même centre où l’entreprise assure à ce jour la maintenance et le suivi. Cette unité produit 3 mètres cube par heure pour une durée de 9 heures chaque jour, selon la promotrice. L’entreprise a par ailleurs réalisé des systèmes de pompage d'eau solaire dans plusieurs centres de santé dans la région du Nord l'an dernier.
L’Extrême-nord du Cameroun, un marché à définir pour les énergies renouvelablesÂ
Le taux d’électrification en milieu rural reste faible au Cameroun. Moins de 22?s villages ont accès à l’énergie électrique, selon les statistiques de l’Agence d’électrification rurale (AER). Avec plus de 80? localités sans accès à l’électricité, l’Extrême-Nord reste l’une des régions les moins loties en la matière. Pourtant, il n’en demeure pas moins vrai qu’elle est l’une des plus arrosées par les rayons solaires, même en pleine saison des pluies. « C’est un champ fertile pour les énergies renouvelables. L’on devrait saisir l’opportunité pour capitaliser cet atout et développer cette localité», indique Irène Yanpelda, promotrice de Weey Energie et Eau, une startup qui opère dans les énergies renouvelables à Maroua. Face à la pénurie d’électricité, l’électrification par les panneaux solaires photovoltaïques apparait en effet comme une clé pour le développement local. Avec de nombreux avantages parmi lesquels l’abondance du soleil, l’installation d’une puissance modulable en fonction des besoins, un fonctionnement décentralisé sans réseau, aucun combustible, absence de gaz à effet de serre, très peu d’entretien et une durée de vie des photopiles assez longue, explique un expert. « L’offre étant disponible à travers les entreprises spécialisées dans le domaine, la disponibilité du personnel qualifié formé par l’école polytechnique de l’Université de Maroua et la ressource en énergie diversifiée constituent des atouts majeurs », indique-il.
Sauf que le secteur tenu dans la région de l’Extrême-Nord par une dizaine d’entreprises peine à décoller, face à faible demande des consommateurs locaux. Les prix des équipements solaires ne sont généralement pas à la portée des populations des zones rurales généralement pauvres. Les opérateurs du secteur préfèrent se rabattre sur les marchés publics initiés par le gouvernement et les ONG. Le gouvernement camerounais implémente notamment depuis quelques temps plusieurs actions visant à investir dans le secteur. C’est l’objectif visé par le projet d’électrification rurale et d’accès à l’énergie dans les zones sous-desservies au Cameroun (PERACE) qui couvre six régions. Tout comme le projet d’électrification rurale et d’accès à l’énergie dans les zones sous-desservies au Cameroun (PERACE).
Des projets qui ambitionnent de booster l’offre en électricité dans les régions de l’Adamaoua, le Nord, l’Extrême-Nord, l’Est, le Nord-Ouest et le Sud-Ouest.
Selon le ministre de l’Eau et de l’énergie (Minee), Gaston Eloundou Essomba, au moins 687 localités seront touchées par le projet (PERACE), soit une couverture de près de 1,7 millions d’habitants correspondant sensiblement à 370 000 ménages. A cela s’ajoutent les projets issus du budget d’investissement public, ceux à fonds propres et les projets des partenaires au développement. Outre ces mesures gouvernementales et de ses partenaires au développement, les acteurs du secteur ne sont pas en reste. Ils multiplient des actions de leur côté pour plus d’efficacité afin de booster leur activité. C’est le cas de l’Association camerounaise pour les énergies renouvelables (Acer) qui a organisé les assises régionales sur les énergies renouvelables dans les régions septentrionales du Cameroun.
Par Ibrahima Adama à Maroua
Interview
Irène Yanpelda : « L’Extrême-Nord présente une niche d’opportunités dans le secteur des énergies renouvelables »
Qu’est-ce qui vous a poussé à vous lancer dans le secteur des énergies renouvelables ?
Suite à ma formation à l’Institut supérieur du sahel (ISS), j’ai fait le choix d’entreprendre pour mettre en exergue mes compétences directement au service de ma communauté. L’Extrême-Nord présente une niche d’opportunités dans le secteur des énergies renouvelables. Sortie de la prestigieuse école de l’université de Maroua, et en ma qualité d’acteur de développement, ma réelle place a été de me mettre au service de ma communauté pour créer un impact direct et surtout contribuer au développement.
En effet, Il y a un constat clair sur le manque de l’énergie solaire dans nos localités du grand-Nord en général. Plus de 70? la population souffre du manque d’énergie électrique. Aujourd’hui, le besoin existe et il y a un potentiel énergétique énorme et des défis environnementaux énormes. Alors je voudrais apporter ma touche à ce secteur qui est un milieu essentiellement masculin.
Qu’est-ce que WeeY apporte concrètement comme solution ?
WEEY Energies et Eau apporte des solutions aux problèmes d’accès à l’électricité et à l’eau potable. Nous offrons des services pour l’éclairage public afin de contribuer au renforcement de la sécurité. Grace à notre système de homebiogas issu de notre collaboration avec une entreprise Israélienne, nous apportons une solution aux problèmes de bois de chauffe en produisant du biogaz pour la cuisson et des fertilisants pour l’agriculture ; tout ceci à partir des bouses de vache et autres déchets ménagers.
Nous avons notamment installé un système de pompage au Saare Tabitha á Maroua en 2016. C’est un centre de formation des jeunes filles. Ce qui a permis au centre de résoudre un gros problème d’accès à l’eau, pour effectuer les tâches ménagères. WEEY Energies et Eau a par ailleurs réalisé des systèmes de pompage d'eau solaire dans plusieurs centres de santé dans la région du Nord. Nous donnons aussi des formations aux jeunes gens diplômés ou non, intéressés par ce que nous faisons. Cela fait partie du partage de compétence et de la préparation de la relève.
Comment vous approvisionnez-vous en équipements solaires ?
Nous avons signé un partenariat avec une entreprise Suisse Mpower, c’est notre fournisseur en système d’équipement solaire. Grundfox nous fournit également les pompes solaires pour le pompage d’eau solaire.
On évoque très souvent l’énergie solaire pour son coût généralement élevé. Les équipements que vous mettez en vente sont-ils accessibles à cette population où sévit la pauvreté ? Votre business model permet-il à votre entreprise de bien fonctionner ?
La raison principale qui m’a poussé à signer un partenariat avec les Suisses était d’apporter une solution efficace et durable aux oubliés de la zone rurale en matière d’énergie. Nous avons des kits solaires à partir de 17 000 FCFA, des gammes de produits selon le portefeuille du client le plus petit jusqu’aux plus grands systèmes. Notre clientèle cible c’est la zone rurale et nous sommes conscients qu’ils n’ont pas assez de moyens. Nos kits sont durables et nous les vendons avec une garantie de 1 an et un service après-vente à l’écoute du consommateur.
Nous proposons aussi des projets aux ONG et communes de la place. Avec nos kits, elles peuvent développer des activités génératrices de revenus ; et cela peut aider les jeunes à s’autofinancer.
Quelles solutions préconisez-vous pour alimenter donc cette couche de la population ?
Nous en appelons à toutes personnes, organisations ou communes pouvant supporter de financer l’approvisionnement des systèmes solaires pour aider ensemble nos parents oubliés en zones rurales. Nous sommes prêts à donner gratuitement notre main d’œuvre quand il s’agit d’une œuvre humanitaire. Parce que notre objectif est d’abord de vulgariser les solutions vertes mais aussi d’apporter une amélioration des conditions de vies partout et pour tous.
Il n’est pas tout à fait aisé d’entreprendre dans notre environnement. Quelles sont les difficultés rencontrées et comment vous les surmontez au quotidien ?
Nous avons du mal à accéder à la commande publique. L’an dernier par exemple, nous avons soumissionné à quelques marchés d’électrification par lampadaire solaire, sans succès. Il faut aussi souligner les difficultés de financement. Je compte en effet accroître le capital de l’entreprise et la positionner parmi les entreprises pouvant exécuter des marchés d’une certaine envergure. Entre temps, nous continuons à vendre nos kits aux particuliers et à faire des prestations auprès des ONG de la place.
Ce n’est pas fréquent d’avoir une femme et jeune originaire du septentrion se lancer dans l’entrepreneuriat. Comment le public accueille-t-il cela ou comment le ressentez-vous au quotidien ?
Je suis dans un secteur d’activité où l’on ne rencontre pas trop de femmes. C’est un atout comme un frein, mais je ne m’arrête pas. J’ai des résultats clés à produire. Et il faut montrer à la jeune fille et surtout à la femme du sahel que nous pouvons si nous osons. Ma mission est énorme et c’est d’ailleurs pourquoi j’en appelle à tous pour un soutien afin que je puisse garder l’étendard toujours haut. Je suis une référence aujourd’hui, c’est la fierté de toute la région du septentrion.
Beaucoup de personnes sont surprises de savoir que c’est une femme qui porte cette entreprise et ils sont nombreux qui font le déplacement pour me voir, me féliciter et m’encourager à aller de l’avant. J’attire sur moi beaucoup des regards, et j’ai à cet effet obligation de résultats. Comme dit souvent mon papa « faisons bien ce que nous savons faire ».
Au-delà de l’envie d’entreprendre et des soutiens créés, je constate que les mentalités ont également évolué quant au rôle de la femme et de l’homme au sein du foyer. Les femmes peuvent entreprendre et en même temps gérer leur foyer sans que cela gêne, permettant à chacun de mener son activité professionnelle avec plus de sérénité »
Quelles sont les perspectives pour Weey et en général pour le nouveau secteur des énergies renouvelables ?
Nous avons des résultats que nous souhaitons atteindre et nous travaillons sans relâche pour y arriver, malgré le sinistre économique de la région de l’extrême nord en ce moment. Nous travaillons aussi au sein des associations de promotion des énergies renouvelables tel que AI ENREC (association des ingénieurs en énergies renouvelables du Cameroun) et ACER (association camerounaise pour les énergies renouvelables) pour créer ensemble des synergies fortes afin de lutter contre les matériels de mauvaises qualités qui pullulent les marchés et une fois installés, font une très mauvaise promotion et découragent les potentiels clients à s’investir dans le solaire. Avec l’ACER et plusieurs partenaires nous avons tenu à Maroua du 13 au 15 novembre 2019 les assises régionales sur les énergies renouvelables. Une activité qui a été présidée par le gouverneur de la région de l’Extrême-Nord. Avec des participants venus des différentes régions du Cameroun et aussi de la France. Nous avons élaboré un document qui actuellement suit son cours. Des réflexions sont en train d’être menées afin de faire le ménage dans le secteur des énergies renouvelables au Cameroun.
Propos recueillis par Ruben Tchounyabe