Cameroun : les PME des télécoms chargent le régulateur et les opérateurs de téléphonie mobile
Par Ruben Tchounyabe
Le 2020-09-24
Au cours d’une rencontre initiée par le Gicam, les PME du secteur des télécommunications ont décrié le fait que la régulation menée notamment par l’Agence de régulation des télécommunications (ART) ne stimule pas l’explosion des initiatives privées. La voix de ces opérateurs locaux était portée par Pierre-François Kamanou, président du Réseau des professionnels des télécoms, des TIC et du numérique au Cameroun (Reptic).
Le tweet du Réseau des professionnels des télécoms, des TIC et du numérique au Cameroun (Reptic) à l’issue de la rencontre organisée à l’initiative du Groupement inter patronal du Cameroun Gicam est suffisamment évocateur du malaise. « Le Reptic salue avec beaucoup d’appréciation la tenue de la première rencontre du Gicam avec le secteur privé des télécoms et du numérique et réitère son appel au dialogue avec l’association des opérateurs mobiles en vue de structurer ce secteur-clé de l’économie », se satisfait d’abord ce regroupement de professionnels des télécoms et TIC avant de déplorer « l’absence des dispositifs de régulation devant régir les relations technico-commerciales entre ces opérateurs concessionnaires et les opérateurs télécoms licenciés ». Selon le Reptic, 20 ans après leur entrée dans le marché camerounais, les opérateurs mobiles continuent d’assimiler les opérateurs détenteurs de licences à des fournisseurs de contenus ou de clients-entreprises, entraînant ainsi un lourd manque à gagner chez les licenciés.
Au cours de la concertation organisée le 9 septembre 2020 à l’initiative du Gicam et regroupant les acteurs du secteur des télécommunications et services connexes, plusieurs griefs ont été relevés, mettant en lumière les difficultés structurelles et spécifiques auxquelles les entreprises sont confrontées. Les acteurs ont déploré la faiblesse de la régulation telle que menée par l’Agence de régulation des télécommunications (ART) qui ne favorise pas le décollage des initiatives privées. D’où le constat selon lequel le pays accuse un retard considérable, notamment sur le plan international. De plus il est relevé que les actions de régulation sont plus orientées vers les contenants (opérateur de téléphonie, FAI) au détriment des autres acteurs opérant sur le segment des contenus et du cyber espace, souligne le compte rendu publié par le Gicam. Autres préoccupations enregistrées au cours de ces échanges, la question de l’accessibilité aux services mobiles par les opérateurs alternatifs ; le retard accusé par la réglementation du secteur qui se trouve obsolète au regard de l’évolution des enjeux et de la technologie.
Au rang des propositions, il a été recommandé entre autres d’installer des conditions favorables pour un dialogue franc non seulement intra-secteur mais surtout entre différents acteurs pour un développement concerté et une amélioration de la qualité des infrastructures et du service ; de stimuler l’investissement par les organes de régulation qui jouent leur rôle à fonds ; et d’opérer une révision du dispositif réglementaire qui régit ce secteur d’activités afin de booster les initiatives privées, libérer les énergies, valoriser les contenus locaux, et in fine, contribuer à l’instauration d’une saine concurrence.
Un lourd manque à gagner chez les PME des télécoms
Ces acteurs locaux ont à plusieurs reprises essuyé des suspensions de leurs services par les concessionnaires, entraînant parfois l’arrêt de certaines activités. Les plaintes récurrentes des opérateurs et fournisseurs de services témoignent des difficultés structurelles et spécifiques auxquelles ces entreprises sont confrontées. Kakotel, GTS Infotel et bien d’autres PME du secteur des télécoms ont à plusieurs reprises essuyé des suspensions de leurs services par les concessionnaires tels que MTN et Orange, entraînant parfois l’arrêt de certaines activités. Les opérateurs de Bulk SMS par exemple déplorent très souvent des conditions difficiles, à savoir un marché largement dominé par les agrégateurs de sms internationaux et les Simbox. Ajouté à cela, les conditions d’exploitation imposées par chaque opérateur mobile. Certains revendeurs de Sms se disent victimes d’une concurrence déloyale de la part des opérateurs. C’est le cas de New tech qui vend les SMS en gros mais déplore la présence des opérateurs sur ce segment de marché. Ce qui, selon Joseph Mony, directeur général de New tech, entraîne la perte de 30% du chiffre d’affaires de l’entreprise.
Les problèmes d’interconnexion auxquels sont confrontés de manière générale les opérateurs locaux constituent un manque à gagner considérable dans le développement des services mobiles à valeur ajoutée des entreprises et administrations, tel que mentionné dans un rapport de la Banque mondiale de mars 2017. L’institution de Brettonwood avait alors recommandé au gouvernement de faciliter l’entrée de nouveaux acteurs afin de permettre le développement des OTT.
Plus de 1 000 fournisseurs de services TIC incluant les startups et plus de 200 fournisseurs SVA déclarés à l’ART ne peuvent pas s’interconnecter directement à chaque opérateur mobile. Compte tenu des difficultés qu’ils rencontrent notamment en matière d’interconnexion, ces opérateurs réunis au sein du Réseau des professionnels du secteur des télécoms, des TIC et du numérique au Cameroun (Reptic) ont rédigé un plaidoyer pour une meilleure prise en compte des intérêts du secteur privé sur ce marché.
L’objectif étant de favoriser le développement des activités tributaires de l’interconnexion des opérateurs titulaires de licences ou de récépissés de déclaration, et ainsi permettre l’émergence des PME du secteur de l’économie numérique. L’une des préoccupations du Reptic est que des mesures urgentes soient prises favoriser le démarrage ou le développement des activités des PME et Startups membres du Reptic, notamment dans les domaines tels que l’accès aux services TIC et numériques ; transformation digitale de l’administration et des entreprises en tenant compte de la préférence nationale.
Interview
Pierre François Kamanou : « Le régulateur n’a pris aucune disposition pour contraindre les opérateurs mobiles »
Le directeur général de GTS-Infotel et président du Réseau des professionnels des télécoms, des TIC et du numérique au Cameroun (Reptic) parle des difficultés auxquelles sont confrontées les PME du secteur.
A l'issue de la concertation que vous avez eu avec le Gicam et les Opérateurs mobiles, il ressort que nombre de PME du secteur des télécoms rencontrent maintes difficultés. Que reprochez-vous concrètement au régulateur et aux opérateurs ?
Je voudrais tout d’abord saluer l’initiative du Gicam pour avoir organisé cette toute première rencontre avec le secteur privé des Télécoms-TIC-Numérique, qui a révélé l’existence de sérieux problèmes entravant gravement le développement inclusif de ce secteur-clé de l’économie numérique. J’ai en effet confirmé que le régulateur depuis sa création, n’a pris aucune disposition pour contraindre les opérateurs mobiles concessionnaires à établir des conventions d’interconnexion au tarif de gros avec les opérateurs télécoms alternatifs disposant de titres de licence et de blocs de numéros courts/longs SVA à préfixe 8. Il est tout aussi déplorable de constater que les opérateurs mobiles continuent d’assimiler les opérateurs licenciés à des fournisseurs de contenu. On se retrouve dans une situation où l’offre de services de communication fixe & mobile aux entreprises incluant les fournisseurs SVA reste sous le duopole d’Orange & MTN, alors qu’elle ne répond pas à tous leurs besoins de transformation numériques.
Quelle différence fondamentale faites-vous entre les opérateurs licenciés et les fournisseurs de service à valeur ajoutée dit SVA ?
Les opérateurs licenciés sont essentiellement des exploitants de réseaux de communication électroniques pour la fourniture d’accès internet ou accès mobile aux services de contenus numériques développés par des entreprises incluant les fournisseurs SVA. Mais il convient de préciser que le fournisseur d’accès mobile exploite un réseau virtuel composé de plateformes dans le cloud qui pour être opérationnel doit être raccordé aux réseaux des opérateurs fixes et mobiles, selon des tarifs d’interconnexion régulés ; ce qui n’est pas le cas depuis l’entrée des opérateurs mobiles au Cameroun.
Les fournisseurs SVA sont en fait des fournisseurs de service de contenu soumis au régime de la déclaration et disposant de leurs propres numéros courts attribués par l’ART, mais devant établir un contrat d’accès avec chaque opérateur mobile en vue de la commercialisation de leur contenu auprès de l’ensemble des abonnés mobiles.
Il faut donc être de mauvaise foi pour confondre ces 2 catégories d’acteurs.
Malgré ce blocage lié aux difficultés d'interconnexion avec les opérateurs mobiles, vous êtes en train d'introduire une nouvelle offre. Quel sera l'apport de cette innovation dans l’écosystème numérique ?
Je dois d’abord relever que seul l’opérateur historique Camtel à travers son département Wholesale a toujours reconnu le statut des opérateurs licenciés locaux. C’est ainsi que GTS-Infotel a signé une convention d’interconnexion avec Camtel pour l’activation de sa plage de numéros longs SVA à préfixe 8, mais malheureusement, nous n’avons pas pu lancer cette offre, faute d’activation de ces numéros dans les réseaux des opérateurs mobiles.
Heureusement, fort de son récent accord de partenariat Mvno-Fixe avec Camtel, GTS-Infotel devient le premier opérateur télécom alternatif de services fixes-mobiles d’entreprise, à travers son nouveau réseau Mobinawa basé sur des numéros fixes virtuels comme numéro audiotex d’identification des entreprises publiées dans les Pages Jaunes-Mobinawa. Il s’agit là du tout premier réseau virtuel de communication et d’accès mobile multicanal aux services numériques des entreprises de toutes tailles, en support à leur transformation numérique. Après plus de 4 ans de recherche & développement, le réseau mobinawa est actuellement déployé dans sa phase pilote et son lancement officiel est prévu en Janvier 2021.
Propos recueillis par Ruben Tchounyabe